Le 12 septembre 2016, Frédéric Bassemayousse assiste à la naissance d’un cachalot en Méditerranée. Il photographie, filme et témoigne de cet évènement dans son journal de bord :
“Embarqués sur un catamaran, nous arpentons la Méditerranée aux abords du sanctuaire Pélagos. Notre but, l’étude de trois de ses plus grands habitants : le rorqual commun, le cachalot et le globicéphale noir. La mission est menée pour le WWF France. Le programme est simple : observer, rechercher, approcher, photographier et biopsier.
A 13 heures, à bord du catamaran, l’équipe est attentive au moindre souffle. Soudain, en guise de souffle, un cachalot s’élève dans les airs puis retombe lourdement, faisant exploser la surface en mille aiguilles liquides. Il n’est pas seul, mais accompagné de trois de ses congénères.
Ensemble, ils font route vers un autre groupe situé à un 1 kilomètre environ. Nous ne pouvons dénombrer les cétacés de ce second groupe mais le bouillonnement en surface trahit une intense agitation. Nous nous préparons à réaliser photos d’identification et biopsie pour l’analyse génétique.
14h15 Nous embarquons sur le pneumatique et filons vers les cachalots, alors même qu’un rorqual commun fait surface à quelques mètres du catamaran ! Au loin, l’agitation des cachalots en surface est exceptionnelle. Nous approchons au ralenti pour ne pas perturber les animaux. Nous sommes étonnés par le nombre. Les observateurs restés à bord du catamaran nous signalent l’approche d’autres cachalots qui semblent arriver de toute part et converger vers le rassemblement.
15H20 Le groupe de cachalots tourne lentement vers nous. Je me glisse silencieusement dans l’eau et patiente. Je suis à une quinzaine de mètres du groupe. L’eau est chargée de lambeaux de peau laissés par les cachalots qui se frottent les uns aux autres. Je distingue huit cachalots, je vais découvrir plus tard qu’ils sont neuf ! Ils nagent en ligne et me font face. L’un d’eux est particulièrement clair, une femelle adulte. Je suppose que les autres de même taille, sont aussi des femelles. L’une d’elles nage sur le dos un peu en dessous. L’eau est saturée de clics qui me transpercent. Arrivé à une dizaine de mètres de moi, le groupe vire légèrement vers ma gauche. Les cachalots sont très calmes, alors qu’il est évident qu’ils m’ont repéré. Je ne perçois ni animosité ni crainte. Ils me laissent juste à une distance respectable. Avant d’approcher, il faut y être invité ! Patience et respect.
15H22 Sans que j’en comprenne la raison, l’agitation reprend. L’eau se sature de mousse et masque les cachalots. Les caudales battent l’air et retombent lourdement. Je prends conscience de leur incroyable puissance lorsqu’une nageoire passe rapidement devant moi. Je bats en retraite. Spectateur unique d’une représentation dantesque, je ne sais absolument pas à quoi j’assiste !
Une fois l’eau éclaircie, je constate que d’autres acteurs sont apparus sur scène . Je remarque la femelle très pâle. Un morceau de placenta blanchâtre obstrue sa fente génitale : c’est une mère ! Elle vient de mettre bas !
Une naissance ! Toute cette agitation pour une naissance !
Où est le nouveau-né dans cette masse compacte ? Le voici qui s’extirpe du groupe. Malgré ses trois mètres, il me semble petit, fragile. Son cordon ombilical est bien visible ! Sa peau est fripée. Les lobes de sa caudale sont encore enroulés. Il ne ressemble pas à ses aînés : sa tête est oblongue et semble terminée par un bec. C’est lui, le neuvième individu que je n’avais pas repéré dans le groupe initial !
L’agitation n’est pas seulement liée à la mise bas, mais à l’arrivée de nouveaux cachalots qui se joignent au groupe. Ils sont bientôt 27 ; un rassemblement considérable, rarement observé en Méditerranée. Sous l’eau, le vacarme des clics, des codas, des creaks est assourdissant. J’aime à penser que certaines de ces expressions sonores sont des « faire-part » de naissance qui annoncent au loin l’heureux événement. En effet, jusqu’à la tombée de la nuit, des cachalots viennent de tous les horizons saluer l’événement. Pour protéger le nouveau-né de l’enthousiasme des arrivants venus le saluer, un mâle forme rempart à sa gauche, une femelle – la marraine ? – le garde à sa droite. Sa mère nage sur le dos juste en dessous Dans ce fourreau de protection le petit est en sécurité. Sa mère, aux petits soins, le porte par intermittence pour faciliter sa respiration.
Voilà une heure que je barbote à présent. La danse des cachalots n’en finit pas. Ils valsent au son des kodas et saluent bruyamment chaque arrivant. Je me suis fait petit car je ne peux faire autrement. J’assiste avec émerveillement à cette réunion. J’aimerai moi aussi faire partie de cette famille, comprendre leur langage, y répondre. Un mâle a dû lire mes pensées, il se rapproche très près et m’observe avec bienveillance. La confiance est là, je suis adopté. La troupe se déplace lentement dans ma direction. Un mur vivant me fait face. Une petite brique s’en extirpe et se rapproche. Enfin, nous sommes à une poignée de mètres l’un de l’autre. Bienvenue à toi petit cachalot ! “
Frédéric Bassemayousse
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